Peu d’attention a été prêté à la manière dont les modes de victimisation des individus durant la Shoah diffèrent de ceux visant les familles. Ce mémoire traite de la victimisation des familles Juives pendant la Shoah en Italie en se basant sur une approche empruntant à la géographie historique et aux Sciences de l’Information Géographique (SIG). Le processus de recherche a été guidé par les questions suivantes: Quels furent les caractéristiques spatio-temporelles des arrestations et déportations de familles Juives en Italie entre Septembre 1943 et Février 1945? Ces caractéristiques diffèrent-t-elles des caractéristiques spatio-temporelles identifiées à l’échelle des individus? À quelle fréquence, et sous quelles conditions, les groupes familiaux furent-t-ils maintenus, séparés, et/ou réunis?
Afin de répondre à ces questions, ce mémoire utilise une méthode novatrice se basant sur la technologie numérique pour préparer les données et effectuer les analyses. Deux scripts ont été écrit et utilisés pour identifier des groupes familiaux à partir d’une liste de 6116 Juifs déporté depuis l’Italie pendant la Shoah et pour déterminer si, et dans quelles circonstances, les familles furent séparées. Dans un second temps, les données obtenues à l’échelle de la famille ont été comparées à celles à l’échelle de l’individu à l’aide d’analyses SIG et statistiques, en se concentrant en particulier sur (1) les caractéristiques spatio-temporelles des arrestations et séparations de familles, (2), la fréquence et les types de séparations familiales, et (3) l’effet de variables explicatives, comme la nationalité des familles, celle des auteurs de arrestations et le genre et l’ages des individus, sur le degré et la fréquence des séparations familiales, et sur la vulnérabilité des familles.
Les résultats révèlent que plus de la moitié des Juifs victimes de la Shoah en Italie furent arrêtés avec au moins un membre de leur famille, et que les groupes familiaux furent fréquemment séparés, soit pendant les arrestations, soit pendant la déportation. De plus, les familles se sont révélées être particulièrement vulnérables aux rafles de grande échelles, comme celle d’Octobre 1943 à Rome. Parmi celles qui ne furent pas arrétées pendant des rafles, de nombreuses familles furent arrétées à la frontière entre l’Italie et la la Suisse, probablement pendant qu’elles essayaient de fuirent les arrestations et les persecutions. La majorité de ces familles italiennes essayant de s’enfuire n’étaient pas de familles nucléaires complètes, ce qui illustre le fait que certaines victimes de la Shoah décidèrent de s’enfuire même si cela signifiait l’abandon d’une partie de leur famille. Au contraire, les données indiquent que les familles essayant de s’échapper de la France de Vichy arrivèrent, et furent arrêtées, en Italie avec l’intégralité de leur famille nucléaire. Ces résultats soulèvent des questions à propos des choix et des stratégies de survie prise par les familles juives pendant la Shoah, qui mériterait d’être explorées par de futures études avec un angle d’approche plus qualitatif.
Concernant les séparations familiales, cette étude révèle que les Juifs italiens et les victimes arrêtées en 1944 ou 1945 avaient une probabilité plus grande d’être séparé de leur familles, soit pendant leur arrestation, soit pendant leur déportation, que les Juifs étrangers ou ceux arrêtés en 1943. De la même manière, les enfants avaient une probabilité d’être séparé de membre de leur familles plus grande que les adultes, alors que le genre des victimes ne semble jouer aucun rôle dans la probabilité de séparation. En outre, cette étude révèle que les séparations familiales prirent place plus fréquemment dans les endroits ou des petits groupes de victimes étaient à la charge des perpétrateurs, contrairement aux principaux camp de concentrations ou aux rafles à grande échelles où relativement peu de séparations eurent lieu.
Les analyses statistiques révèlent aussi que les victimes arrêtées par des italiens, seuls ou avec l’aide d’allemands, avaient plus de risque d’être séparé de membre de leur famille, à la fois pendant les arrestations et pendant les déportations, que celles arrêtés seulement par des allemands. Bien que ces constats ne puissent pas être interprété comme une tentative délibérée de italiens de séparer les familles, ils remettent une fois de plus en cause le mythe des « italiani brava gente ».
Dans son ensemble, cette étude démontre qu’il est possible, et utile, d’étudier la Shoah à l’échelle de la famille. Cette échelle d’analyse ne permit pas seulement d’étudier les séparations familiales, un phénomène largement inexploré, mais elle fournit également des résultats qui sont parfois différents de ceux obtenus lors d’études réalisées à l’échelle individuelle. De telles méthodes utilisant la famille comme unité d’analyse peuvent être reproduites dans différents contextes, en particulier dans les domaines des études sur les génocide et sur les migrations forcées. Enfin, ce mémoire démontre la valeur des études géographiques, et en particulier des SIG, pour la recherche sur la Shoah et les génocides. En effet, les méthodes issues des SIG et les analyses spatio-temporelles furent fondamentale dans la découverte des caractéristiques de la vulnérabilité des familles.
Cette publication présente mon mémoire intitulé « Arrestations et séparations de familles juives en Italie pendant la Shoah » (Family arrest and separation during the Holocaust in Italy) complété en mai 2016 dans le cadre de mon master de géographie à Texas State University